La promotion Lieutenant-Colonel JEANPIERRE est une des dernières promotions recrutées dans la perspective de la guerre d'Algérie. Ainsi s'explique son effectif très important : 484 officiers, auxquels il faut ajouter, à Coëtquidan, une trentaine d'étrangers, Laotiens, Marocains, Tunisiens et quelques représentants de pays de l'Afrique Noire.
Elle est également, autre fait bien plus notable, la dernière promotion dans laquelle les deux sources de recrutement "École Spéciale Militaire" et "École Militaire Interarmes" ont été confondues pour porter le même casoar au sein d'une promotion au nom unique. Il s'agissait des 312 élèves issus des corniches civiles et militaires en 1959, et des 172 officiers et sous-officiers ayant passé le concours de Strasbourg en 1960.
C'est enfin, dernière particularité qui nous a tous profondément marqués, la première promotion depuis 1939 à n'avoir pas eu à rejoindre, à sa sortie des écoles d'application, un territoire où la France était militairement engagée.
N'ayant pas eu l'expérience du combat, la promotion a vécu au rythme des mutations, des commandements, des examens et des diplômes.
À partir de choix initiaux d'armes qui reflètent bien les aspirations premières des candidats à Saint-Cyr, les fins technocrates de la DPMAT et de l'EMAT ont provoqué en 1964-1965 une première altération du dispositif en contraignant 30 officiers, de l'Infanterie et de l'ABC, essentiellement, à passer dans le Génie (25) et les Transmissions (5). Pour éviter toute autre ingérence, les officiers de la JEANPIERRE ont préféré, par la suite, décider eux-mêmes ces mouvements pour rejoindre le Matériel (6), l'Intendance (9), le Cadre spécial (7), la Gendarmerie (20), voire le Contrôle (1).
À côté de ces changements dans la continuité militaire, la promotion a vu aussi beaucoup de ses officiers s'engager vers une seconde carrière civile. Mesuré pendant 22 ans (78 départs seulement, soit en moyenne 3 par an), ce mouvement s'est considérablement amplifié en 1984 (32 départs) et surtout en 1985 (82 départs). À ce jour, le pourcentage de civils a dépassé les 40 %.
Pour ceux qui sont restés dans la carrière des armes, il suffit de dire que certains d'entre eux ont eu l'occasion de participer aux campagnes du Tchad et du Liban, avec des responsabilités souvent majeures. D'une façon générale, les officiers de la JEANPIERRE occupent actuellement des postes de chefs de corps ou des fonctions "éminentes" (!!!...) dans divers états-majors et institutions : le tribut à l'Administration centrale parisienne frappe plus d'une cinquantaine d'entre nous !
Que reste-t-il de la FLAMME de la promotion en 1986, 25 ans après notre sortie de Coëtquidan, 25 ans après avoir quitté la férule ferme et vigilante de nos deux remarquables commandants de bataillon, le Général LAURIER et le Général VERGUET ?
Cette FLAMME, longtemps simple veilleuse, est bien repartie sous l'impulsion de quelques uns, avec l'assentiment de tous. Il suffit, pour s'en convaincre, d'apprécier la solidarité qui nous lie aux familles de nos 18 camarades décédés. De même c'est aussi cette entente qui a permis, à maintes reprises, à ceux d'entre nous qui cherchaient un emploi, de trouver une place dans le même organisme, militaire ou civil.
Et cette FLAMME pourrait bien se trouver pérennisée ainsi qu'en témoigne déjà le choix fait par les fils de certains de nos camarades présents aujourd'hui, en école d'application, à la Spéciale ou en corniche, suivant ainsi les traces de ceux qui, il y a 25 ans, ont formé la très bahutée Promotion Lieutenant-Colonel JEANPIERRE.
Témoignage du Général LENNUYEUX
JEANPIERRE est né le 14 mars 1912 à Belfort.
Son père, officier de carrière, est tué quelques années plus tard sur la Marne, pendant la guerre de 1914-1918.
Quant à lui, à 18 ans il s'engage.
5 ans plus tard (1935), il est admis à l'École militaire de l'Infanterie et des Chars de combat de Saint-Maixent. Il en sort l'année suivante sous-lieutenant, deuxième au classement, ce qui lui permet de choisir son affectation : le 1er Régiment Étranger.
Depuis cette date (octobre 1936) il sert sans interruption à la Légion et, après 1939, presque toujours dans une unité combattante.
D'avril 1939 à août 1941, c'est la Syrie ; puis ensuite, quasiment sans interruption, la Résistance et la déportation, l'Indochine et enfin l'Algérie, où il trouve la mort le 29 mai 1958.
JEANPIERRE n'exerçait pas sa fonction comme un métier journalier. Là était le secret de la puissance de commandement qui était en lui.
Tout être sous ses ordres percevait aussitôt en lui le représentant d'un devoir strict, d'une loi morale, en même temps qu'il avait l'impression d'une force sûre, continue, irrésistible.
On le sentait en possession d'une faculté supérieure de décision. On lui aurait obéi sans le comprendre. Il était celui qui, au milieu de l'égarement général, alors que les règles habituelles manquent, savait encore ce qu'il faut faire. Jeune capitaine, en Indochine, il l'avait déjà prouvé.
Gardiens des disciplines et de l'honneur d'une troupe née sous ce sigle, son autorité reposait sur ce sentiment qu'il savait inspirer du devoir collectif.
Certes ses subordonnés étaient d'élite. Mais ils étaient une arme dure et tranchante qu'il fallait savoir manier. Ardents, résolus et fiers, il fallait savoir les conduire comme ils devaient l'être. JEANPIERRE savait.
Il savait que si ses hommes au combat n'étaient aptes qu'à recevoir et traduire machinalement sa volonté, ils ne seraient encore qu'une chose inerte, mais qu'il fallait les pénétrer d'activité propre et de vie. Il avait le don de communiquer la vie.
Il réalisait au plus haut degré cette "communauté morale de soldats et des chefs" que JAURÈS appelait de sa grande voix pour l'Armée qui fut celle de 1914.
Maître de lui, étranger à toute affection, il apparaissait dans la gravité simple de l'homme livré à une oeuvre qui absorbe son attention et exige tous ses efforts. Son langage net, sobre et ferme, sa voix précise, impérieuse, son âme simple, sans faiblesse, sans sourire, reflétaient sa conviction. Tenace, c'est à dire incapable d'admettre par lassitude des résultats insatisfaisants, il gardait le sens juste et droit des réalités.
Sa loyauté enfin, faisait la sûreté de ses relations. Ce soldat complet, équilibré, n'était fait ni pour rester dans l'ombre, ni pour se contenter du médiocre.
Lorsque le 29 mai 1958, le Colonel JEANPIERRE sera mortellement frappé dans son hélicoptère guidant l'assaut de ses légionnaires, à nul autre mieux qu'à lui ne s'appliquera la phrase du Maréchal GALLIENI : "La première condition pour une vie d'homme, c'est qu'il ait le droit d'être satisfait de lui-même en étant satisfait de son œuvre."
JEANPIERRE avait ce droit.