(Propos recueillis auprès du général Barthélémy, ancien commandant en second du Bataillon Français de l'ONU en Corée)
Rappel : pour pouvoir prendre le commandement de ce bataillon, Monclar échangea ses étoiles de général contre des galons de lieutenant-colonel.
À l'appel des Nations Unies, la France décide de créer un bataillon de volontaires pour combattre en Corée. Parmi les 22 nations présentes, le Bataillon Français s'impose par sa bravoure et ses vertus guerrières. Un homme résume à lui seul la volonté de combattre pour la liberté qui anime tous ces volontaires : le général Monclar.
La première tâche qui attendait le général fut de le faire reconnaître par les Américains. D'abord rattachées au 8e Régiment puis au 38e Régiment d'infanterie US, les quatre compagnies du Bataillon furent finalement détachées auprès du 23e RI.
Cependant, il fallait donner une âme à cet ensemble d'hommes venus d'horizons divers. Aussi le général Monclar leur fournit-il un emblème de guerre, le fanion du bataillon. Au-delà de ce symbole, le général concrétisait la France, il était "notre drapeau" parce qu'il représentait parfaitement la Patrie.
Tenir ou mourir
C'est lors de la bataille de Twin Tunnels que le bataillon français accomplit ses premiers pas sur le chemin de la gloire. Le 31 janvier 1951 la 8e Armée US reçut pour mission de reprendre le contact avec l'ennemi. La 2e Division US formait la base avancée, le môle d'accrochage étant composé du 23e RI et du bataillon français. Pour comprendre l'effort réalisé par les combattants, il est nécessaire de se représenter le terrain de la bataille : la nuit, des températures de -30° C étaient enregistrées ; entre la côte 200, base de départ et la côte 543, point d'arrêt du bataillon, une série de crêtes barrant la route. Le mot d'ordre était "la sûreté". Vingt quatre heures auparavant, une compagnie US avait été décimée par un ennemi installé sur les crêtes. Malgré la réticence du commandement des Nations-Unies, Monclar exigea que la progression se fasse de part et d'autre de l'axe menant à la côte 543 : les troupes gagneraient en sûreté ce qu'elles perdraient en rapidité. Parti à l'aube, le bataillon parvint à la côte en fin de journée, le commandant du bataillon entête. Invalide à 90% depuis la Grande Guerre, il marchait péniblement mais il était avec son bataillon, ce qui comptait le plus à ses yeux. Pour ses hommes aussi, l'évènement était capital, ce qui fit dire à l'un d'eux : "C'est aujourd'hui que le général a gagné ses galons de lieutenant-colonel." Cela se passait juste avant Twin Tunnels où le bataillon allait recevoir sa première citation présidentielle. Réveillé par une rafale de mitrailleuse, le bataillon qui s'était installé en périmètre fermé faillit disparaître. L'ennemi chinois s'était glissé au plus près des positions, la bataille s'apparentait plus à un corps à corps. Ce n'estoque sur l'initiative du commandant en second et du capitaine Goupil que le bataillon put être dégagé.
Face à la division chinoise, le bataillon français s'est remarquablement comporté, repoussant l'ennemi et desserrant l'étau. À l'image de son chef, il a puisé dans ses dernières réserves de volonté pour vaincre la fatigue, le froid et accomplir un des plus beaux faits d'armes de cette guerre.
Prisonnier de sa gloire
Le lendemain à Chipyong-Ni, le bataillon fut rejoint par le régiment dans un terrain difficile à défendre, les attaques chinoises se succédèrent jusqu'au 17 février. Le bataillon a eu une attitude qui força le respect des Nations Unies. Chipyong-Ni fut la consécration comme Twin Tunnels la révélation. La presse et les médias s'y emparèrent du bataillon et de son chef.
Notre propos n'est pas ici de raconter toute la bataille, mais quelques faits caractéristiques éclairent la personnalité de Monclar toute de sang-froid et de sens du devoir.
Alors qu'il était dans un abri, pris à parti par quelques tirs d'artillerie, il refusa de partir mais apercevant un de ses subordonnés il lui cria : "Beaufond, je vous interdis de vous faire tirer dessus." Quelque temps après, s'inquiétant de l'encerclement de plus en plus oppressant, alors qu'on lui demandait les dernières consignes si l'encerclement n'était pas rompu, il répondit : "Mais, Camerone !" Lorsqu'il lui fut fait état du manque de munitions, le général rétorqua : "Baïonnette au canon !"
Le bataillon répondit totalement aux exigences de son chef. Jamais il ne le déçut. Le général le rassembla après Chipyong-Ni et lui dit : "Messieurs, après Wonju, Twin tunnels et Chipyong-Ni, vous êtes prisonniers de votre gloire."
Le bataillon qui avait failli disparaître était maintenant prisonnier de sa gloire. Le reste, ce sont des mots, que des mots. Crèvecoeur ? La légende était déjà établie. Le combat revêtait une importance stratégique de premier ordre, c'était l'objet de toutes les attentions. Pourtant là où il aurait du y avoir une division, il n'y eut qu'un bataillon. Le général Monclar qui avait vécu Verdun l'a comparé à Crèvecoeur : "Ceux de Crèvecoeur peuvent dire aux vieux de 14-18 qu'ils ont vécu quelque chose qui vaut Verdun…"
… Le général se souciait de l'état moral et physique de ses hommes autant qu'il était exigeant envers lui-même. Arrivé avant le bataillon en Corée, il exigea que des vêtements chauds soient fournis, alors que des chemisettes avaient été distribuées. Il envoya un télégramme aux officiers alors que le bateau était en route vers le pays du matin calme : "Faites briser et graisser les souliers."
Il savait parfaitement la valeur de la vie humaine et il lui en coûtait d'avoir à sacrifier inutilement des hommes. Aussi avait-il coutume de dire : "Ici, il n'y a pas de héros, il n'y a que des soldats qui font leur travail sans rechigner. Il n'y a de héros que les morts. Vous n'êtes pas venus vous faire tuer mais pour vous battre. Un bon soldat vivant vaut mieux que dix héros morts…"
… Une complicité s'était établie entre les soldats et leur chef parce qu'il savait qu'attendre d'eux : "Vous êtes tous volontaires et parce que vous êtes des volontaires, j'ai une confiance totale en vous…"
… Du dernier des volontaires au général, nous partagions les mêmes goûts, espoirs, rêves, nous obéissions aux mêmes règles car nous étions entre soldats.
De fait, le bouclier, le drapeau du Bataillon Français étaient le général qui incarnait parfaitement les inspirations du bataillon.